Éric Bulliard

Né en 1970 à Fribourg (où il vit toujours), Éric Bulliard a suivi des études de lettres (littérature française et histoire de l’art) à l’Université de cette même ville, conclues par un mémoire de licence sur Edmond-Henri Crisinel. Journaliste à «La Gruyère», il est responsable de la rubrique Culture et s’intéresse essentiellement à la littérature, au théâtre, à la musique.
(source viceversalitterature.ch)

L’Adieu à Saint-Kilda
a reçu le prix Edouard Rod 2017 ainsi que le prix littéraire SPG 2018.

livre(s) sélectionné(s)

édition 2021-2022

Ceux qui sont en mer

paru aux éd. Cousu Mouche, 197 pages, 2020

Le Golden Globe Challenge est une course à la voile organisée par le Sunday Times en 1968-1969. Dans cette période où les Américains et les Russes « visent la lune », les Anglais, quant à eux, gardent « les yeux sur l’horizon » car ils savent que « l’Everest des mers » reste à gravir : « réussir le premier tour du monde à la voile, en solitaire, sans escale ni assistance » (p. 22). La course est là pour convaincre les plus indécis à se lancer dans l’aventure ; elle récompensera le premier qui réalisera une circumnavigation planétaire sans aide extérieure, mais également celui qui s’en tirera le plus rapidement. C’est que, dans cette course à nulle autre pareille, les concurrents ne partent pas au même moment ni du même endroit : « chacun peut lever l’ancre quand bon lui semble, entre le 1er juin et le 31 octobre » (p. 24) dans le port britannique de son choix (pourvu que l’arrivée ait lieu à l’endroit où s’est déroulé le départ).
Stimulant les uns, qui y voient une occasion d’entrer dans la légende, et agaçant les autres, qui ne souhaitent pas que le défi qu’ils s’étaient déjà lancé à eux-mêmes n’obtienne une semblable publicité, l’épreuve annoncée par le Sunday Times excite les passions et attire les aventuriers de tous bords : « marins aguerris », « militaires méticuleux », « naïfs enthousiastes » ou encore « poètes aux pieds nus » (p. 67), tous sont prêts à braver vents et marées pour accomplir l’exploit solitaire du Golden Globe, qu’ils soient en quête de renom ou d’absolu, qu’il recherchent la performance ou simplement un moyen de rompre avec le train-train quotidien.
Sur les neuf courageux qui prennent le départ de la course, Bulliard, Perruchoud et Pidancet s’intéressent principalement à ceux qui restent le plus longtemps en mer. Au premier rang desquels figure le gagnant, Robin Knox Johnston, un « jeune capitaine de la marine marchande » (p. 23) qui ne laisse rien au hasard et dont un psychologue a déclaré avant le grand départ qu’il était « désespérément normal » (p. 12), étonnant diagnostique pour quelqu’un qui saura faire preuve d’une ténacité et d’un courage hors norme durant l’épreuve, à l’image de son bateau, « ce bon vieux Suhaili », un petit ketch râblé en teck, « costaud et fiable » qui a prouvé « qu’il ne craint ni le gros temps ni la pétole » (p. 35-36).
Un autre participant de taille est le français Bernard Moitessier qui navigue sur Joshua, un bateau monocoque qui fend les flots avec la même légèreté que celle des dauphins qui l’escortent ; c'est « un peu le Rimbaud des mers », « un vagabond solaire taillé au sel et à l’écume » (p. 15) qui « respire les océans avec un souffle de yogi » (p. 67), ce « barbu romantique », auteur du Vagabond des mers du sud, qui « écrivait les flots comme personne » (p. 16), avec « sa façon mystique, quasiment religieuse de dire la mer » (p. 46) et qui refusera finalement de jouer le jeu de la compétition.
Et puis il reste les perdants magnifiques. Tout d’abord Nigel Tetley, un homme de quarante-cinq ans qui a fait « carrière dans la Royal Navy » et qui, faute de moyens, part à l’aventure sur le bateau dans lequel il vit avec sa femme, « le mal nommé Victress », un trimaran, c’est-à-dire un modèle de voilier à trois coques, moderne pour l’époque, qu’on ne croit pas capable d’accomplir un tour du monde ; drôle de concurrent que ce Nigel Tetley qui s’engage dans la course en toute discrétion et se fait un point d’honneur de conserver une « élégance soignée jusque dans les embruns » (p. 68) ; sa fin tragique et mystérieuse quelques années plus tard ne fait qu’épaissir un peu plus le halo d’étrangeté dont est nimbé le personnage.
Finalement l’ingénieur électronicien visionnaire, Donald Crowhurst, se lance dans un tour du monde alors qu’il n’est qu’un navigateur du dimanche, quoiqu’ancien pilote d’avion. Il croit que le système de flotteurs révolutionnaires qu’il a inventé évitera à son trimaran, Teignmouth Electron, de chavirer. Cependant, une fois en mer, constatant que rien ne fonctionne comme il l’a prévu et que son manque de préparation le met en danger, Crowhurst choisit une voie obscure, celle de tricher et d’établir un journal de bord mensonger, s’acharnant à calculer des positions plausibles et avantageuses pour son bateau, et ce jusqu’à sombrer dans la folie, point à la dérive sur l’océan Atlantique.
En retraçant cette aventure hors du commun, Bulliard, Perruchoud et Pidancet ont bien compris que, quand la réalité paraît plus extraordinaire que la fiction, le roman est le moyen le plus sûr d’approfondir la fascination qu’elle suscite en nous. Résultat d’un travail à plusieurs mains d’une grande unité de ton et de style, Ceux qui sont en mer rend à merveille l’atmosphère de la course qu’il retrace et communique au lecteur l’amour de la voile, mais ce roman fait surtout éprouver au lecteur le sentiment indécidable qui nous saisit quand nous voyons des hommes mêler et confronter leurs forces dérisoires à celles, infiniment plus grandes, du cosmos.

Jean Cornu

édition 2018-2019

L'Adieu à Saint-Kilda

paru aux Éditions de l’Hèbe, 240 pages

Le narrateur embarque une amie vers Saint-Kilda, cette île oubliée du monde, hostile à ses habitants et pourtant chérie par eux pendant des siècles. Le narrateur ignore ce qu’il espère trouver sur cette île, dans ce « voyage d’une vie ». Ce ne sont ni la faune ni les paysages qui lui importent mais bien les habitants de Saint-Kilda, mémoires de cette terre.
En parallèle à ce voyage entrepris en 2014 se déroule l’histoire de l’île jusqu’à l’évacuation en 1930 de ses trente-six derniers habitants, annoncée dès le début du roman, où se répète de façon obsédante le constat qui condamne les Saints-Kildiens à l’exil : « ce n’est plus possible ». Les chapitres alternent entre l’excursion du narrateur – qui pourrait s’avérer décevante – et les légendes et témoignages relatifs aux Saint-Kildiens, à la tonalité parfois épique : comment quelques hommes et enfants sont restés neuf mois sur un rocher tandis que le reste de l’île était décimé par la maladie, comment certains ont quitté Saint-Kilda pour l’Australie, comment un autre est parti, revenu, reparti, saisi par la fièvre de l’or. Les pensées du narrateur vagabondent et il se prend à imaginer l’histoire de l’île à partir des documents auxquels il a eu accès : des photos, des témoignages, qui ont entraîné le besoin de se rendre sur place. Ainsi, les deux parties du roman s’entrelacent. En fouillant le passé de Saint-Kilda, le narrateur porte un regard acéré sur la religion, sur le tourisme – passé et présent –, il affiche également un attachement profond pour les habitants de ce qu’il considère comme une utopie : personne ne dirige le village, les gens vivent pour la communauté, ils sont le plus souvent coupés du reste du monde, satisfaits de ce qu’ils ont, n’ayant pour la plupart jamais rien connu d’autre.
Si la richesse de cet « adieu » passe notamment par une structure complexe et maîtrisée à la perfection, elle se révèle aussi dans un style à la fois visuel et émouvant, comme dans cette ultime scène de 1930 durant laquelle le dernier habitant de Saint-Kilda prend soin de fermer toutes les maisons alors que les foyers ont été ranimés par les désormais anciens occupants de celles-ci, comme si l’abandon de l’île pouvait n’être que temporaire.

Ludivine Jaquiéry

les inédits

édition 2018-2019

Et ces désespoirs du petit matin

« Il faudrait parler de foot, de ce but historique que je marque en finale de la coupe fribourgeois des juniors B, au stade de la Motta. »

Quand j'avais 17 ans