Pascale Kramer

Pascale Kramer vit à Lausanne dès l’âge de 3 ans. Après l’obtention de son baccalauréat au Gymnase de la Cité à Lausanne, Pascale Kramer entreprend des études de lettres à l’Université de Lausanne. Elle interrompt ses études après une année et demie pour s’essayer au journalisme. Elle décide finalement de se lancer dans la publicité et part pour Zurich où elle passe six ans dans l’équipe de Jacques Séguéla. De passage à Paris pour son travail, elle décide de s’y installer et, depuis 1987, elle y exerce son métier de conceptrice en publicité.
Pascale Kramer a publié ses premiers livres en Suisse, aux Éditions de l’Aire : Variations sur une même scène en 1982 et Terres fécondes en 1984. Puis un silence de plus de dix ans avant Manu, roman publié à Paris et lauréat du Prix Michel-Dentan en 1996.
Pascale Kramer reçoit le Prix Lipp 2001 pour Les vivants, roman tragique où deux enfants meurent accidentellement sous les yeux de leur oncle. En 2005 paraît L’adieu au Nord au Mercure de France comme Retour d’Uruguay (2003), et Fracas (2007). Son livre L’implacable brutalité du réveil reçoit, outre le Prix Rambert 2010, deux autres prix prestigieux : le Grand Prix du roman de la SGDL (en France) et le Prix Schiller.

(source Wikipédia)

livre(s) sélectionné(s)

édition 2013-2014

Gloria

paru aux Editions Flammarion, 154 pages, 2013

Il y a des pages, dans les romans de Pascale Kramer, tout simplement miraculeuses: le critique pourrait presque poser sa plume et se faire copiste, tant la précision de cette écriture – qui creuse un sillon d’inquiétude et de douleur de vivre depuis presque vingt ans – se passe de toute glose.

Prenons la page 34 de ce nouvel opus: Michel, le protagoniste que nous découvrons dès le début hanté par son passé (il a été chassé par le foyer où il travaillait, accusé par un collègue «d’attouchements auprès de certaines fillettes») se rend dans l’appartement de Gloria, qui fut sa protégée, et qui essaie de le manipuler sous ses allures de gamine en mal d’amour. Il y est reçu par le mari: «Une odeur âcre d’homme vieillissant au sortir du lit émanait de sa tenue pourtant impeccable. Il s’avança pour saluer Michel, ses yeux évitant les siens comme toujours. L’anorak de Naïs faisait une flaque sur le seuil de sa chambre dont elle revint avec un livre aux pages de carton émoussé qu’elle tendit dans leur direction. Il n’y avait qu’avec son père qu’elle avait l’air d’une enfant, songea Michel en la regardant grimper sur le canapé, sa frange en pompon toute chavirée sur le côté. Le père se pencha pour lui passer lentement la main dans le dos en un geste d’un très grand réconfort, puis il se redressa en souriant à Michel et lui proposa un thé à la menthe. Que celui-ci refuse les laissa tous les deux inutiles et embarrassés».

Les dialogues sont rares, le récit est à la fois simple et tortueux : chaque personnage tisse et défait sans trêve une constellation précaire d’affections tatillonnes; sœur, collègues, parents, amis, chacun empêtré dans ses doutes et ses cruautés, dans un triste ballet d’alliances et de méfiances. Restent des suspensions temporelles, des âmes chavirant sous le poids parfois insoutenable des rapports humains. Et un inventaire de gestes, de mouvements instinctifs et très vite récusés, que l’auteure suisse habille patiemment par ses phrases concises, drues, parfois trouées par une adjectivation inattendue (la «pédanterie bécasse», un «profil mal aimable», une «franchise décapante», le «cœur indolore»).

En dépit de son réalisme sans faille, du tissage patient d’une toile de détails qui enrobent les personnages dans une atmosphère glutineuse («sa vie paraissait s’écouler comme une eau lourde entre deux murs»), Pascale Kramer semble s’approcher de plus en plus de Kafka. En bas de l’immeuble esseulé d’une périphérie quelconque, où loge Gloria, des gamins, des adolescents, des jeunes désœuvrés crèchent, en obstruant le passage. On pourrait y voir un parallèle avec le septième chapitre du Procès, où K. rendait visite au peintre Titorelli et se trouvait poursuivi par une marmaille infernale et troublante.

Chez la romancière, les enfants sèment le trouble, déclenchent la peur et effritent le réel : depuis Manu (1995) et jusqu’à L’Implacable Brutalité du réveil (2009), en passant par Les Vivants (2002), leur présence (et parfois leur mort brutale) met les adultes face à l’inanité de leurs efforts de rationalité, face à l’idiote «obscurité des certitudes». «À quoi se mesurait finalement la normalité des vies?» se demande Michel confronté au bric-à-brac affectif de Gloria, mais encore plus à sa propre impuissance à retrouver candeur et légèreté, ligoté comme il est par les ombres du passé («Que sait-on de son innocence quand le mal du soupçon a été fait»).

À la différence des personnages de Kafka, les héros de Pascale Kramer ne luttent pas contre un pouvoir menaçant. Ils portent en eux l’obscurité et parfois ils défaillent. Mais ils ne baissent jamais pavillon: après s’être empêtré dans son envie de sauver Gloria et son enfant et avoir goûté l’amertume de l’impuissance à aider, de la méprise, Michel se déclare «étonné comme il l’avait été autrefois qu’il soit possible de vivre alors même qu’on étouffe». Si la honte traverse ce bref et terrible roman de part en part, elle n’arrivera pas – mystérieusement – à déchirer la vie. Une vie douée d’une résistance aveugle, têtue, qu’aucune désespérance ne pourra mettre à mal.

Pierre Lepori, www.viceversalitterature.ch

Edition 2011-2012

Un homme ébranlé

paru aux Editions Mercure de France, 144 pages, 2012

Dans L’implacable brutalité du réveil, Pascale Kramer avait exploré le sentiment de culpabilité dont peut souffrir une mère qui n’éprouve pas d’attachement pour son enfant. Avec Un homme ébranlé, son nouveau roman, elle s'attaque à un thème encore plus difficile : la mort et son cortège de fantômes. Pour ce faire, Pascale Kramer se place dans le corps et surtout la tête de Simone dont le compagnon est condamné par le cancer. Dans ce couple, qui sent la fin de son histoire, arrive le fils adolescent de Claude, né d’une brève liaison antérieure et Claude décide de se battre contre la maladie.
A travers cette histoire, Pascale Kramer décortique le cerveau de Simone et les pensées qui le traversent : par exemple le sentiment épouvantable de cette femme qui n’ose pas imaginer pouvoir se réjouir de passer une semaine de vacances avec son frère après la mort de son compagnon. Ce livre est un bijou de pudeur, de finesse, de précision et somme toute d’amour.

Valérie Meylan

Edition 2009-2010

L'implacable brutalité du réveil

paru aux éd. Mercure de France, 144 pages, 2009

Longtemps, Alissa s'est prise pour une adolescente. Elle était la plus jolie du campus, choyée par sa mère et ses amies. Quand elle commence à fréquenter Richard, ils forment un gentil couple bohème dont tout le monde salue le bonheur. Elle n'a rien vu venir, rien compris aux bouleversements qui l'attendent avec l'apparition du bébé qui tête béatement en serrant les poings. Dehors, l'été californien accentue les odeurs de fleurs et de lait caillé. Dedans, Alissa prend conscience de sa vie qui bascule, transformant la jeune femme imma­ture en mère de famille effarée. Ce n'est pas le baby blues, mais un sentiment de dépendance irréversible et de culpabilité.

Depuis son premier roman, Manu, paru en 1995, Pascale Kramer dissèque le quotidien, les dérapages, la cruauté banalisée. Les enfants sont au coeur de ses histoires, comme des révélateurs au sens photographique du terme. Quant aux adultes, ils sont comme englués, suspendus dans le vide. Evitant le jugement, la morale, elle décrit les gestes de son héroïne, ses fuites minuscules qui la ramènent toujours au point de dé­part. Alissa vit dans un monde climatisé où les odeurs incongrues vous sautent à la figure : couches salies, repas de la veil­le, transpiration. Sa vie ressemble désormais à ces remugles dont elle ne parvient pas à se défaire. La tragédie n'est jamais loin, mais Pascale Kramer fait le pas de côté salutaire, préférant suggérer l'ambiguïté de certains gestes et ce moment du réveil où le poids des responsabilités vous accable.

Christine Ferniot, Télérama

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