Marie Gaulis

Marie Gaulis est née en 1965 à Thonon-les-Bains (Haute-Savoie), d’une mère française et d’un père suisse. Elle a fait des études de lettres à Genève, qui se sont achevées par une thèse en grec moderne, publiée en 2001 aux Editions Slatkine ( Une littérature de l’exil, deux écrivains grecs d’Australie ).
Elle a publié un recueil de poèmes aux Editions de l’Aire (Le Fil d’Ariane, 1993), et trois recueils de récits (ou proses poétiques) aux Editions Metropolis (Ligne imaginaire, 1999, pour lequel elle a reçu le Prix Pittard-de-l’Andelyn,Terra incognita, 2002 et Le Cour couronné, 2004).
Elle a aussi écrit une pièce de théâtre (Vénus vagabonde, autour des Anagrammes de Saussure) et traduit de l’anglais (L’Ile d’Antigone Kefala paru à Melbourne en 2002) et du grec (Karaghiozis, le château des fantômes publié chez Zoé en 2005).
Marie Gaulis vit à Paris, avec de fréquents séjours en Australie et à Genève.

livre(s) sélectionné(s)

Edition 2010-2011

Lauriers amers

paru aux Editions Zoé, 144 pages, 2009

Trente années après la disparition de son père tué au sud-Liban alors qu'il travaillait pour le Comité international de la Croix-Rouge, Marie Gaulis s'interroge obstinément sur les circonstances ayant provoqué son décès.
Marie Gaulis fait débuter Lauriers amers par un prologue, dans lequel elle fait part du bouleversement que provoque en elle l'annonce d'un attentat survenu à Beyrouth faite à la radio. Information brève surgie dans la chaleur de l'été 2003, celle-ci ne donne pas lieu à de longs développements journalistiques. Mais avec une évidence certaine elle constitue l'élément déclencheur de la quête que Marie Gaulis s'apprête à mener afin d'élucider les «vraies» raisons de la mort de son père, Louis Gaulis, écrivain et dramaturge. En repensant aux longues années de guerre civile ayant meurtri toute la population du Liban et la ville de Beyrouth en particulier, Marie Gaulis associe, dans cet avant-propos daté de 2003, la ville à une immense plaie béante, dévastée par la mort de tant de personnes qu'elle suggère de l'abandonner une fois pour toute à son funeste destin et de s'attacher à en reconstruire une nouvelle : «un peu plus loin, respectant le périmètre sacré des ruines modernes devenues cimetière, jardin à l'abandon, paradis des chats et des vagabonds […] que tendrement, la végétation recouvrirait et cautériserait». La métaphore est si forte qu'intuitivement nous imaginons qu'elle renferme déjà à ce stade toutes les promesses d'un apaisement, alors que l'auteure s'apprête à un long retour sur ce qui fut le drame de sa vie.

Comme si sa proposition ne la concernait pas encore au premier chef, Marie Gaulis poursuit son récit par l'évocation des souvenirs qu'elle garde de ce court séjour passé au Liban, puisque deux mois à peine après l'arrivée de sa famille, Louis Gaulis y perdait brutalement la vie. Avec poésie et une grande retenue, l'auteure retrace ces moments de bonheur et d'insouciance lorsqu'avec sa sœur et sa mère, elle arpente les ruines de Byblos et Tyr, apparaissant aux yeux des enfants comme de vastes terrains de jeux envahis par une profusion de plantes aux senteurs marquées. Intervient alors brutalement l'annonce du drame survenu dans la région de Tyr alors que toutes trois s'apprêtent à partir en excursion sur le site de Baalbeck. Avec peu de mots, l'auteure évoque la chape de silence qui s'abat sur elle, sa mère et sa jeune sœur : « Dans la révélation soudaine de la catastrophe, nous ne savions pas encore combien le chagrin allait occuper notre territoire, ni à quel point il resterait entre nous comme une pierre, inamovible et infranchissable. » Comme pour mieux surmonter cette épreuve la mère choisit de s'isoler et d'empêcher ses deux filles d'être directement confrontées à leur père décédé : « Nous les enfants, nous n'avons jamais pu lui dire adieu, ni au Liban ni plus tard en Suisse quand on l'a enterré ; nous avons été écartées des rites et des cérémonies, et le silence a continué, s'est alourdi, sans doute pour nous protéger, mais de quoi puisque le malheur était déjà définitivement et radicalement arrivé? »

Commence alors un amer et lent retour sur ce passé lointain, au cours duquel Marie Gaulis se remémore le caractère vif et enjoué dont son père faisait preuve en public et dans l'intimité, son inclination à être badin, sa prédisposition à prendre avec aisance les traits d'un clown farceur. Telle une enquêteuse, elle repart d'abord sur les lieux du drame à Beyrouth, puis à Tyr, et refait le parcours suivi par son père dans ses tout derniers instants de vie, accompagnée sur place par de ses anciens collègues. Comme un juge d'instruction, elle cherche des indices, émet des hypothèses. Au final, son intime conviction est que les communiqués officiels émanant du CICR choisissent de ne faire état que d'un banal accident de la route alors que, de son point de vue, son père est décédé sous les balles d'un franc-tireur posté sur le bas-coté de la route qu'il empruntait à la nuit tombée au volant de sa voiture de fonction. Par le choix d'une langue résolument poétique, par la richesse de ses nombreuses évocations mêlant dieux et déesses de l'antiquité grecque, Marie Gaulis arrive à alléger la tristesse de son ressentiment. Une fois son voyage au Liban achevé, alors que les archives feuilletées au siège de la Croix-Rouge internationale à Genève ne lui apportent pas la tranquillité escomptée, Marie Gaulis s'oblige en fin de compte à «accepter que la vérité soit élusive, fuyante comme le serpent et le poisson, échappant à mon désir de comprendre, de saisir les faits à la racine, de les présenter, nets et clairs, dans la lumière de la vérité enfin dévoilée.»
Si les dernières pages s'arrêtent sur des séquences d'archives filmées retrouvées sur son père, celles-ci témoignent de la richesse des messages qu'il a laissé. Si, comme évoqué plus haut, nous relisons attentivement les toutes premières pages de ces Lauriers amers, nous y décelons tous les éléments d'un apaisement possible que l'auteure, consciemment ou non, à titre d'œuvre littéraire, a si remarquablement et finement articulés.

Brigitte Steudler, www.culturactif.ch

les inédits

Edition 2010-2011

Un goût de bière

« C’est long, une année, du 26 octobre au 26 octobre suivant. C’est long, l’adolescence, surtout vers la fin. »

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