Thomas Sandoz
Écrivain, épistémologue, docteur en psychologie, Thomas Sandoz, né en 1967, a notamment publié de la prose (Croix de bois, croix de fer, Malenfance, Les temps ébréchés, Même en terre, La Fanée, Gerb, 99 minimes…), des essais (Histoires parallèles de la médecine, La vraie nature de l’homéopathie, En somme…) et des monographies (Allain Leprest- Je viens vous voir, Derrick- L’ordre des choses…). Il s’est aussi fait connaître par ses articles de vulgarisation scientifique et de critique de la culture pour différents journaux ainsi que par quelques pièces dramatiques. Il a reçu plusieurs distinctions, dont le Prix Schiller 2011.
Tiré de son site personnel, www.ccdille.ch
livre(s) sélectionné(s)
Edition 2010-2011
Même en terre
paru aux Editions Grasset, 182 pages, 2012
La terre recèle des secrets, des soupirs, des larmes. C’est dans nos cimetières qu’on enfouit le plus de peines et, souvent, on finit par les délaisser. Même si ce sont des enfants, dans leur carré rien que pour eux, on dépose quelques fleurs, elles se font de plus en plus rares, on oublie de les arroser, l’hiver vient, la vie continue et, finalement, il n’y a plus qu’une tombe triste, esseulée. Parfois, un gardien de cimetière se laisse toucher par ces petites âmes abandonnées et, alors, il les prend sous son aile. À sa manière.
(...)
C’est le propos – lugubre ? – de Même en terre. Découpé en courts chapitres portant des noms de fleurs, on passe ainsi d’un enfant à l’autre, d’une tombe délaissée à une histoire triste. De Primevère à Chrysanthème, on découvre ces petites tranches de vie en compagnie de ce gardien de cimetière mystérieux, attentionné… Peut-être trop… Mais l’enfance a laissé des cicatrices, des escarres qu’on doit panser comme on peut, des crimes que seule la tendresse peut adoucir. Il y a des échos que chacun de ces destins mutilés amplifie.
(...)
On circule entre des histoires (trop) courtes, on s’invente des morceaux de vie, on sinue entre les tombes et les fleurs. Il y a de la folle tendresse ou de la tendre folie chez cet homme qui prend soin des sépultures, offre des peluches à ses petits protégés, entretient leur dernière demeure, leur édifie une espèce de famille et – sans pour autant révéler la clé de voûte du récit – c’est peut-être de foyer qu’il s’agit.
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L’écriture de Thomas Sandoz confère à l’histoire sa cohérence, sa densité. Léger et épuré, son ton fait, du granit de ces mausolées, des évocations aériennes. Loin de la noirceur que l’on pourrait supposer, il sait donner à cette gravité une présence touchante. Il y a un peu de soleil par-ci, par-là, qui auréole les tristes allées. Et on accompagne d’autant plus volontiers cet homme dans son travail, dans son souci permanent, dans son éloignement de ses semblables, dans une « perte » qui, finalement, se révélera beaucoup plus nuancée que ce qu’on l’on pourrait prétendre. Un récit riche, poétique, incontournable. Des mots comme des brumes qui soulèvent nos émotions et bousculent nos craintes.
Bertrand Schmid, http://litterature-romande.net
Edition 2009-2010
La Fanée
paru aux éditions G d’encre, 80 pages, 2008
« Un jour, elle perd l'équilibre. Elle tente de s'agripper aux murs de pierres sèches, mais ses ongles s'échaudent au grain du calcaire. Ses traits se figent dans les gravats d'une existence qu'elle ne comprend plus. Impassible au bord des champs, elle remplit ses poumons des vapeurs de gasoil que les tracteurs dispersent dans un ciel fatalement bleu. Elle se gonfle de mort jusqu'à la nausée. Elle veut se jeter sous les dents des faucheuses mécaniques. S'entourer d'un suaire tressé de ces graminées qui foisonnent ici, se faire chiendent pour survivre aux ruminants qui l'encerclent. Elle cueille des trèfles dont elle suce longuement la tige. L'amertume la tient éveillée dans ce cauchemar que le poison juteux rehausse. Dans ses tempes bat la confusion.
La lame ne tremble plus, elle peut appuyer. Elle sent le craquement de l'os, la résistance des chairs. La douleur est presque absente. D'un coup sec, elle traverse la phalange, puis retire le canif qu'elle jette au loin. Hurlant sans voix, elle roule dans l'herbe, tournoie sur les cailloux, macule ses cheveux de terre sombre. Couchée sur le dos, elle regarde les sapins crever le ciel. Son pays, ses enfers. »
En rédigeant les toutes premières lignes de « La Fanée », Thomas Sandoz énonce en quelques phrases son projet : suivre la lente et inéluctable descente aux enfers d'une jeune fille que son environnement tient enfermée au plus profond d'elle-même. Ce qui impressionne d'emblée c'est le rôle majeur que l'auteur attribue à l‘environnement naturel dans lequel évolue son personnage, soit les montagnes et pâturages du Jura. L'austérité des paysages, la rudesse du climat imprègnent fortement ce récit écrit sans dialogues, sous la forme de courts paragraphes.
En pénétrant dans l'univers de cette adolescente, le lecteur découvre une région dans lequel vivent deux mondes que tout sépare et qui ne se parlent pas ; celui des autochtones qui sont paysans et s'occupent de la terre et celui des ouvriers qui travaillent dans les deux usines ayant survécu à la crise horlogère. « Dans ces contrées, on résiste par le foin ou la micromécanique, on se nourrit de saisons ou de millisecondes. Les jalousies sont aigres et les ouvriers traités de lâches. » D'elle, puisque c'est ainsi qu'elle apparaît, anonyme et sans prénom, nous apprenons qu'elle vit seule avec son père, lequel, « a perdu l'usage du coude quand il était tunnelier quelque part dans le sud d'un autre pays » et qui, pour gagner sa vie désormais, s'épuise dans l'une des deux usines agonisantes de la région. De sa mère, partie un matin d'hiver, elle « a de moins en moins de souvenirs, juste quelques pièces d'un puzzle usé, définitivement incomplet. » Encore écolière au début de ce récit, le lecteur accompagne la fanée sur le chemin de sa lente désintégration physique et psychique entraîné presque malgré lui par la beauté poétique de l'écriture de l'auteur. Commençant par être renvoyée de son école pour cause de comportement inadapté, nous assistons aux errances de cette adolescente que l'on voit être enfermée dans un profond mutisme, comme marquée au fer par l'incommunicabilité caractérisant en tout premier lieu la relation à son père. De ces brefs épisodes éclairant les pans d'une vie solitaire se dégage une détresse profonde, laquelle n'ira qu'en augmentant comme mue par une fatalité que l'auteur suppose être inhérente à cette région de moyennes montagnes.
La violence s’incruste dans la vie de la fanée, rythmée par le hasard de rencontres survenues lors de fêtes abondamment arrosées. Battue, violentée, mise enceinte contre son gré, celle-ci continue de s'automutiler avec une détermination difficilement compréhensible mais que par son écriture, Thomas Sandoz arrive à sublimer. Superbement illustrée par Catherine Louis et magnifiquement mise en page par l'éditeur, « La Fanée » se lit d'un trait, presque en apnée, tant le propos est vif et douloureux. A découvrir absolument, tant l'écriture de cet écrivain neuchâtelois, par ailleurs psychologue de formation et épistémologue, subjugue, et, tant la teneur sombre de ses propos interpelle.
Brigitte Steudler, www.culturactif.ch
les inédits
Owner Of A Lonely Heart
« Le 20 janvier 1984, S. me plaque pour un fan de Jean-Jacques Goldman. Tarzan Weissmuller lâche son dernier souffle, à peine audible et chargé d'alcool, et je crois y voir un signe. »